Le peintre Jean-Paul Marcheschi transpose les trois
règnes de la
«Divine Comédie».
Voyage dans la lumière
de Dante. Riveder le Stelle, de Jean-Paul
Marcheschi, jusqu'au 28 février, au musée Fesch, 2, rue
Jérôme-Peri,
Ajaccio. Tél.: 04 95 21 48 17.
Cela fait près de
vingt ans que Dante hante les jours et les
nuits de Jean-Paul Marcheschi. Depuis 1982 exactement, date à
laquelle
apparaissent pour la première fois, sur les pages de ses livres
rouges, des peintures liées à la Divine Comédie.
Mais
si l'artiste (né en 1951) s'est souvent
référé,
de façon ponctuelle, à ce texte, il ne l'avait encore
jamais
abordé de plein fouet. C'est chose faite avec ce très
important
ensemble, titré Riveder le Stelle (extrait du dernier
vers de l'Enfer),
qu'il considère comme l'oeuvre maîtresse de sa
carrière
à ce jour.
Dans le long couloir
d'entrée, l'exposition débute par
des peintures sur papier de 1984-1985, dont le Cercle rouge,
né
du commencement du chant V de l'Enfer, qui figure deux cercles,
l'un rouge
et l'autre de suie. Une pièce clef puisque, outre la
référence
littéraire, elle correspond au moment où Marcheschi, de
retour
d'un voyage au Stromboli, troque son pinceau pour un flambeau et la
couleur
pour la suie, le noir de fumée et donc le feu. Le feu qu'il va
dès
lors utiliser systématiquement, non pas comme une
phénoménologie
du matériau, mais comme un instrument avec toute sa richesse
chromatique
et vibratile, comme un langage.
Pertinente introduction
chronologique, le couloir ouvre sur les trois
salles en enfilade du musée, le corps de l'exposition.
Marcheschi,
qui a spécialement travaillé en fonction du lieu, en tire
un très beau parti pour reprendre la partition en trois chants
de
la Divine Comédie : l'Enfer, le
Purgatoire et le Paradis. Soit un
voyage à travers la lumière, des ténèbres
jusqu'à
l'éblouissement. La première salle est très
sombre.
D'une part, parce que les pièces rassemblées sont
dominées
par le noir de fumée. Mais aussi car l'artiste a voilé la
lumière avec trois grandes oeuvres apposées en
vélum
sur les fenêtres et donc à peine éclairées
par-derrière.
Des oeuvres qui, comme toujours chez Marcheschi, se composent de
feuilles
de cahier d'écolier juxtaposées les unes aux autres. Ces
feuilles sur lesquelles il consigne d'abord des notes, tous les matins
au réveil, avant de les recouvrir, à l'atelier, de noir
de
fumée. Mais si l'écriture préexiste à la
peinture,
elle s'efface ensuite pour ne surgir, simple mémoire, qu'en
bribes
à peine lisibles. Ce rapport au livre se prolonge d'ailleurs
avec
la présentation de neuf antiphonaires (recueils de chants
liturgiques).
Dans la deuxième
salle, on n'entre pas. Pas d'accès au
purgatoire, si ce n'est visuel. En recouvrant entièrement le sol
avec une immense installation de plusieurs centaines de feuilles,
Marcheschi
fait en effet du purgatoire un grand lac noir ponctué
d'îlots
et d'avancées d'écume (Dante en faisait une île).
C'est
donc du bord qu'on découvre trois grandes oeuvres
accrochées
aux murs dans lesquelles apparaissent des cercles. Plus lumineuse que
la
précédente, cette salle est celle du passage, celle
où
tout bascule, celle qui débouche sur la dernière, solaire
jusqu'à l'aveuglement. En clin d'oeil direct à Dante:
«J'ai
été aveuglé par la lumière» (Chant
33).
Avec au fond un immense tableau, le Grand Ciel des étoiles
fixes,
dominé par les blancs et rythmé par neuf cercles
concentriques.
Avec aussi, au centre de la salle, une sculpture composée de
plaques
de verre recouvertes de fumée qui évoquent la coque d'un
navire, en l'occurrence Argo, le bateau des Argonautes. Fin du voyage
et
grande claque tant l'ensemble est dense, admirablement
présenté
et parfaitement maîtrisé. Marcheschi ne tombe jamais dans
une illustration du texte et l'ensemble évite de faire de
celui-ci
une béquille littéraire. Il s'en sert au contraire comme
tremplin d'une transposition, comme expérience d'une
traversée
qui le conduit à réintroduire la figure et à faire
resurgir le corps dans son travail. Le corps comme maître mot et
épine dorsale de sa recherche. «Le sens de la
traversée
dantesque a une valeur symbolique», précise-t-il dans le
catalogue
de l'exposition. «La traversée des trois règnes
doit
devenir, pour un artiste, l'expérience même du
signe».
Un colloque «Il
visibile parlare. Dante, l'art et la mémoire»
est organisé sous le patronage de l'Unesco et sous la
coordination
scientifique de Françoise Graziani et Michel Griscelli, les 11
et
12 février, à la salle des Congrès d'Ajaccio.
Tél.:
04 95 50 40 80.
Henri-François Debailleux
(envoyé spécial à Ajaccio)
Libération, Mercredi 9 février 2000